La salade de peau de tofu au céleri et au chou blanc
C’est l’heure du nouvel an lunaire, que diriez-vous d’une salade inspirée d’une entrée que l’on trouve dans l’un de mes restaurants chinois préférés ?
Je suis obsédée par la salade servi aux Délices de Condorcet dont cette recette s’inspire. Deux raisons à cela : la texture géniale de la peau de tofu, et l’assaisonnement vraisemblablement rehaussé de glutamate monosodique (MSG) qui accompagne cette salade.
La peau de tofu, qu’est-ce donc ? Si vous avez déjà fait chauffer du lait dans une casserole, vous savez qu’une fine peau se forme à la surface quand le liquide se met à frémir, et bien il se passe la même chose quand on fait bouillir du lait de soja ! La peau que l’on retire peut être consommée immédiatement ou être séchée pour se conserver plus longtemps. C’est un super ingrédient à avoir dans ses placards et on peut le trouver sous plusieurs formes, en feuilles, rouleaux, plié et même noué. Il suffit de le réhydrater pour s’en servir.
Le MSG ou glutamate monsodique est un sel et exhausteur de goût qui a parfois mauvaise presse. La racine chimique de ce sel responsable de la saveur « umami » a été identifiée pour la première fois en 1908 par le professeur japonais Kikunae Ikeda. Peu après sa découverte il fonda une entreprise pour produire et vendre une version synthétique de ce sel qui permet d’ajouter une dimension sapide et délicieuse aux plats qu’il assaisonne. C’est un ingrédient très populaire dans la cuisine asiatique et que l’on peut trouver dans de nombreuses recettes chinoises.
En 1986, un certain Docteur Kwok raconte dans le courrier des lecteurs d’une revue scientifique qu’il a été pris de maux de tête et de palpitations après un repas dans un restaurant chinois. Bien qu’il ait aussi bu pas mal de vin, il se demande si le MSG contenu dans les plats n’est pas responsable de ses symptômes. Le mois suivant, une dizaine de docteurs répondent à sa question et beaucoup se retrouvent dans les effets évoqués, ils en sont persuadés, ce sel qu’on retrouve presque exclusivement dans les restaurants chinois à l’époque est le coupable idéal. La rumeur du « syndrome du restaurant chinois » est née et entraine avec elle la création de dizaine d’études scientifiques plein de biais. La science n’est jamais trouvé de véritable lien de cause à effet entre la consommation de ce sel et les dits symptômes mais la psychose grandit et les populations asiatiques sont stigmatisées. Dieu•e que le racisme est pervers.
En France, dans les années 2000, c’est aussi une histoire de restauration et la création d’un nouveau mot-valise qui a induit de nouveaux préjugés racistes ayant eu un véritable impact sur les communautés asiatiques. Comme le rappelle Émilie Tran Nguyen dans son documentaire « Je ne suis pas chinetoque », le reportage sur les « appartements raviolis » diffusé en 2004 dans Envoyé Spécial a eu un réel effet négatif sur les communautés asiatiques.
Son documentaire (dont je vous conseille vivement le visionnage) m’a fait réaliser quelque chose. Je savais qu’il y avait des ressemblances entre les cultures juives et chinoises, comme la tradition de couvrir les miroirs en période de deuil, mais je n’avais pas mesuré à quel point les mécanismes de l’antisémitisme et du racisme anti-asiatiques étaient similaires.
L’idée du « péril jaune » nait au 19e siècle au même moment que le mot antisémitisme et la peur derrière est la même : l’autre complote pour régner sur le monde. Les théories et les images se ressemblent ; en 1908, un lieutenant-colonel français publie même une trilogie de livres à succès « l’invasion jaune » où les japonais et les juifs s’associent pour tenter de dominer le monde.
Bien sûr tous les racismes ont en commun le rejet de l’altérité, et l’impression de supériorité face à l’autre, mais tous n’ont pas ces doubles mouvement de haine, où on déteste l’autre parce que l’on se croit supérieur, mais aussi parce qu’on a peur de sa supériorité supposée. Où on mêle à la fois les préjugés négatifs à des préjugés « positifs », comme quand on parle de l’intégration des communautés juives et asiatiques en France. On retrouve les mêmes à priori sur l’argent et les affaires, les réseaux. Les uns tueraient des enfants, les autres mangeraient les animaux de compagnies. On englobe une multitude d’identités et de nationalités sous un seul trait commun. On accuse les juifs d’empoisonner des puits pour assoiffer les chrétiens et répandre des épidémies ; et les asiatiques d’ajouter sournoisement du MSG dans leurs plats et on les tient responsable du COVID.
Ces similitudes en disent bien plus de ceux et celles qui les propagent que de nos communautés mais pour en revenir à la cuisine et aux vraies ressemblances qui rassemblent nos cultures, je conclurai en vous disant que je m’amuse souvent de me dire que manger des kneidlers me procure la même sensation que de commander un phở gà. Nos parents voient les mêmes pouvoirs magiques et réparateurs dans le bouillon de poulet et ça c’est beau.
La recette pour un grand bol de salade
15 minutes • végétalienne • hivernale
Ingrédients
Deux feuilles de peau de tofu
Quelques branches de céleri
Un petit quart de chou blanc
Du gros sel
Pour la sauce :
Une cuillère à café de glutamate
2 cuillères à soupe de vinaigre de riz
Une cuillère à soupe de sauce soja
Une cuillère à café d’huile de sésame
Une pincée de graines de sésame au yuzu (facultatif)
a. Préparez un grand récipient d’eau salée et placez les feuilles de peau de tofu dedans pour les réhydrater.
b. Lavez et émincez le chou et le céleri et ajoutez-les dans l’eau salée. Laissez le tout tremper pendant au moins 15 minutes.
c. Egouttez l’ensemble et récupérez les feuilles de tofu. Roulez-les sur elles mêmes et découpez-les au couteau comme des tagliatelles.
d. Replacez tout dans un bol et versez l’ensemble des ingrédients de la sauce dessus avant de bien mélanger, c’est prêt !
Bonne année du dragon ! 🐉
C’est vraiment la meilleure newsletter de « cuisine » qu’il m’ait été donné de lire.