Les zitoni à la boutargue et à l’huile d’olive infusé aux feuilles de genévrier et à l’ail
J’ai appris plein de trucs en écrivant cette recette, le plus important à retenir : il faut casser les zitoni avant de les cuire.
En ce moment, je suis très nostalgique des vieux personnages méditerranéens et déjà disparus de mon entourage. Parce que j’ai récemment lu Les valeureux d’Albert Cohen, et parce que j’ai assisté il y a peu aux Adieux des Magnifiques de Michel Boujenah. Deux œuvres dans lesquelles est exposé de tout ce qu’il y a d’aimable chez un vieux séfarade né quelque part autour de notre mer. Les personnages qu’ils racontent sont drôles, poétiques et prouvent souvent qu’ils sont plus philosophes que ce que l’on croit derrière leurs formules malicieuses. Quand je les lis ou les écoute, je suis envahie par la tendresse que j’ai pour ces héros exubérants qui me rappellent certains de mes proches. Mais depuis peu, je suis aussi submergée par la mélancolie. Parce que les séfarades de cette génération nés de l’autre côté de la mer nous quitteront peu à peu, et nous ne serons jamais ce qu’ils sont. Un jour, ils ne seront plus là pour nous raconter et magnifier leurs villes, leurs ports et leurs ponts suspendus en découpant des tranches de boutargue pendant qu’on partage un petit verre d’anisette Phenix.
Je me remets de la tristesse en me disant que ce que ces deux œuvres nous apprennent que si on ne peut pas pas arrêter le temps qui passe et empêcher les évènements qui nous arrachent nos proches, on peut les garder vivants en les laissant s’exprimer à travers nous et en cultivant ce qui nous rattache à eux. Ça doit être pour ça qu’il est universellement si important de transmettre nos traditions culinaires et recettes à nos prochains, pour toujours rester en lien.
Tout ça pour vous dire qu’aujourd’hui, on va cuisiner des pâtes pleines de saveurs méditerranéennes, parce que ce qui me rattache le plus à Mangeclous, c’est l’amour pour les œufs de mulet séchés :
« – O mon délicieux ! cria Mangeclous.
– Et puis une grosse boutargue, elle l'a cachée, mais je sais où ! On en mangera, c'est exquis !
– Surtout coupée en fines lamelles et bien arrosée d'huile d'olive ! approuva Mangeclous. J'en ai déjà salivaison énorme et je pose ma candidature pour la totalité de cette grosse boutargue, sans partage avec les autres, car j'adore la boutargue et ne vis que pour elle ! Et l'aimerais mieux n'en manger pas du tout que d'en manger un peu ! O Salomon, fleur de Céphalonie, prends note ! »(extrait du chapitre VIII, Les Valeureux, Albert Cohen)
Pour accentuer l’odeur de pinède grecque, aujourd’hui on l’accompagnera d’une huile d’olive infusée (à l’ail) et aux « feuilles » de genévrier, ce conifère dont les baies facilite la digestion et qu’on retrouve dans la préparation du gin ! (Pas étonnant qu’on en trouve dans la choucroute ! Mangeclous, connu pour ses vents, ferait mieux d’en intégrer à son régime.)
Comment bien choisir la boutargue ?
Elle peut s’acheter nue et sous vide ou entourée de cire. L’acheter nue vous permettra de voir sa couleur pour juger de la qualité des œufs (elle doit être plutôt claire, sans veines noires ou taches blanches), la choisir avec de la cire vous permettra de la conserver plus longtemps (quelques semaines plutôt que 10 jours), pratique si vous avez l’intention d’en manger une tranche de temps en temps comme du saucisson ! Ma préférence en la matière va à la Boutargue Yellow de Memmi, la cire d’abeille parfumée qui la recouvre rajoute un superbe arôme à cet aliment déjà délicieux.
Il est aussi possible d’en acheter déjà râpée, mais elle coûte plus cher au kilo, est plus sèche et a moins de saveurs. Si vous avez une bonne râpe ou une Microplane, passez votre chemin.
Pour cette recette, j’en ai trouvé une nue chez Eataly à 95 € du kilo, soit 9,50 € la poche, ce que vous pouvez considérer comme un bon prix, on en voit souvent à plus de 150 € le kilo, prix de la cire inclus. C’est pas donné, mais vous en aurez besoin au maximum d’une dizaine de grammes par assiette !
Mais ça a quel goût la boutargue ?
Si vous n’en avez jamais goûté, la boutargue c’est un shot d’iode et d’umami. Un peu comme les anchois, l’expérience peut être gâchée si on en mange de mauvaise qualité. Si c’est votre première fois — ou que vous souhaitez revoir votre mauvais jugement sur cet aliment, goutez-en une tranche de 2 millimètres d’épaisseur sur un bout de baguette fraiche tartinée de beurre doux, c’est mon apéritif préféré au monde. Veillez à bien retirer la cire, mais aussi la petit membrane qui entoure les œufs et qui a parfois un gout très amère (ma théorie c’est que des gens sont fâchés avec cet aliment à cause de ça).
Côté pâtes, j’ai choisi des zitoni, de long et gros macaroni. Si c’était à refaire, je prendrais plutôt des linguine, bien plus facile à cuire, à mettre dans une assiette et à manger. Si j’avais consulté internet avant de me lancer, j’aurais su que ces pâtes se cassent avant d’être mises à l’eau ou s’utilisent en gratin. Si vous voulez tout de même essayer de les cuire entière, prenez la plus haute de vos casseroles, car les tubes ne se plieront pas rapidement comme des spaghetti !
La recette pour deux personnes
25 minutes (+ 1 heure d’infusion) • omnivore • toute l’année
Ingrédients
250 g de pâtes zitoni (ou linguine)
15 à 20 g de boutargue
4 cuillères à soupe d’huile d’olive
3 gousses d’ail
Une cuillère à café de feuilles de genévrier (ou 5 baies)
Du gros sel pour la cuisson de pâtes
a. Commencez par préparer l’huile parfumée. Écrasez les gousses d’ail en appuyant dessus avec le plat d’un couteau. Dans une casserole ou une poêle, faites chauffer l’huile d’olive, les gousses d’ail et les feuilles de genévrier 5 minutes à feu très doux. Transférez l’huile dans un récipient résistant à la chaleur et laissez infuser une heure. (Si vous ne trouvez pas de feuilles de genévrier, utilisez ses baies !)
Note : vous pourriez être tentés de préparer une grand quantité d’huile infusée pour l’utiliser dans d’autres plats, alors pourquoi pas, mais uniquement si vous la conservez au frais et que vous l’utilisez rapidement. Car, le saviez-vous ? Mettre des végétaux crus dans de l’huile, ça comporte des risques d’intoxication ! (les cas de botulisme sont rares, mais d’après l’institut Pasteur, les préparations de conserves maisons sont la plus part du temps en cause)
b. Faites cuire les pâtes dans de l’eau salée selon le temps indiqué sur le paquet. Pendant la cuisson, filtrez l’huile infusée et faites-la réchauffer dans une poêle. Quand les pâtes sont cuites, versez-les dans la poêle avec une louche d’eau de cuisson et faites gigoter rapidement la poêle d’avant en arrière pour créer une émulsion avec l’huile.
c. Dressez les pâtes dans les assiettes et râpez de la boutargue dessus, c’est prêt !
À à la semaine prochaine !
Ps : si vous aimez Les Magnifiques ou Les Valeureux, vous pouvez écouter cet entretien dit « consultation » entre Michel Boujenah et Tobie Nathan publié récemment, c’est très touchant.