La demi-tourte aux champignons et oignons caramélisés
Bonne année, bonne santé et vous que faisiez-vous quand Jean-Marie Le Pen est mort ?
Bonjour, ça faisait un bail que je ne vous avais pas écrit. En décembre, j’ai tenté à plusieurs reprises de composer un texte qui irait avec une recette, mais je n’y arrivais pas. Je restais les doigts ankylosés face à mon clavier et quand les phrases sortaient, la syntaxe était d’une lourdeur absolue.
Après une vraie trêve de travail à l’occasion des fêtes, je me suis rendue compte que ce dont j’avais besoin c’était d’une pause régénératrice. Je vous le dis ici parce que j’ai tendance à l’oublier, mais vraiment, les vacances c’est super, prenez-en dans la mesure du possible et remercions Léon Blum et le Front Populaire pour l’invention des congés payés.
Pendant ma trêve et depuis le fond de mon canapé, j’ai fait le bilan de l’année, j’ai réfléchi à mes aspirations pour l’année suivante. Puis je me suis réveillée le 7 janvier et partout on parlait des 10 ans des attentats de Charlie Hebdo, Montrouge et de l’Hyper Cacher. Soudain, je me suis souvenue qu’il y a 10 ans, j’étais jurée en cour d’assises et déjà bouleversée par la responsabilité de juger quelqu’un accusé d’avoir tué un autre être humain. Je me souviens être sortie avec mon téléphone, éteint, du palais de Justice. Sur l’Île de la Cité défilait un ballet de sirènes, tous les véhicules sortaient de la préfecture. Plus de touristes en ligne devant la porte de la Sainte-Chapelle, à la place, un triangle rouge : « alerte attentat ». J’enfile mes écouteurs, allume la radio, il me semble que c’est la voix de Nicolas Domerand à moitié sanglotante qui m’apprend la nouvelle, mais peut-être que mes souvenirs se brouillent. Je ne comprends pas, je verse quelques larmes.
Le lendemain, on doit délibérer. Les magistrates et le juge ne montrent pas leurs émotions, mais tous les juré•es pleurent, parce que le monde est sordide, parce qu’on est entrain de décider d’envoyer un homme en prison et qu’on tente d’estimer le juste temps d’enfermement. Y’a-t-il un temps juste pour ça ? Est-ce qu’une ou deux années de plus ou de moins auront une influence sur la repentance de cet homme ? Est-ce que la prison l’aidera à se réintégrer dans la société ? Est-ce que la durée aura une incidence sur la peine ressentie par la partie civile absente de ce procès ? Est-ce que ce jeune rom que tout accablait a été traité justement par la police qui l’a arrêté un soir de 1er janvier, trois ans plus tôt ? Pourquoi l’enquête s’est terminée si vite ? Pourquoi fût-il le seul qu’on arrêta et interrogea ? J’ai aussi pleuré le soir, plongée dans l’eau chaude de ma confortable baignoire et après avoir scellé un temps le destin d’un homme, je pensais égoïstement au mien.
Vendredi, la tristesse et la peur ne m’avaient toujours pas quittées quand la prise d’otages dans l’Hyper Cacher a été annoncée. Mon cerveau a voulu refuser la réalité mais des torrents de larmes ont coulés sur mes joues. C’était déjà trop et maintenant que de nouvelles personnes perdaient des membres de leurs familles, moi on me rappelait que je pouvais être tuée pour ce que j’étais, encore ici, encore aujourd’hui.
Des jours suivants je me souviens de l’enterrement de Tignous, souvent je repense au bourdonnement du cor qui jouait « Back to Black » d’Amy Winehouse en sortant de la mairie de Montreuil. Il y avait le discours de Christiane Taubira qui, sans aucune note, a cité tous les membres de sa famille, toutes ses filles et a tenté d’avoir un mot réconfortant pour elles. Le président avait demandé à chacun•e de ses ministres de prendre une famille de victime sous son aile, elle avait choisi Tignous qu’elle connaissait pour son travail sur le procès Colonna. Procès dont le juge de la cour d’assises nous avait raconté ses souvenirs quelques jours plus tôt, dans la même pièce où le jugement eu lieu. Il y a des hasards étranges dans la vie. Je me souviens de son cercueil plein de dessins et du silence couvert de sanglots dans le Père Lachaise.
Début 2015, j’étais trop jeune pour faire le bilan de mes années écoulées, mais la profonde injustice de la vie me poussait à prendre la mienne en main. Cette année-là j’ai changé de boulot, décidé que j’allais tomber amoureuse et c’est arrivé. Y’a dix ans, je ne trouvais pas encore que de nombreux caricaturistes étaient devenus un peu trop boomers mais j’attendais déjà la mort de Jean-Marie Le Pen.
Dix ans plus tard, la vie est toujours aussi injuste, le monde toujours aussi abjecte. Moi depuis j’ai appris à aimer autrement des personnes qui le méritent bien plus, et putain enfin, ce vieux tas de merde est mort, alors bonne année !
Faute de galette, faisons une demi-tourte
Maintenant que je vous ai présenté mes voeux, place à la cuisine. J’ai un petit truc pour les « pot pies » en ce moment, un genre de demi-tourte. On fait revenir quelques éléments dans une poêle ou une sauteuse (idéalement dans un contenant qui va au four), on singe avec de la farine, on déglace, on allonge au bouillon ou du lait, on couvre avec une pâte feuilletée, et hop au four. Ça peut se faire avec les légumes qui trainent, des restes, des légumineuses… Les variations sont infinies.
Ici nous ferons une version totalement végétale (il se trouve que les pâtes feuilletées au beurre ont été prises d’assaut dans mon supermarché) et nous mettrons en œuvre les conseils de Lan Lam d’American Test Kitchen qui préconise d’ajouter de l’eau dans la cuisson des oignons caramélisés et des champignons afin qu’ils dorent mieux. Ça semble contre intuitif mais ça marche bien. Autres avantages, ça réduit le temps de cuisson des oignons et on utilise moins de matière grasse. Lan Lam ne le mentionne pas, mais j’ai aussi trouvé que ça rendait la cuisson moins « risquée », ça grille mais j’ai l’impression que ça brûle moins facilement. Pour les champignons, j’avais déjà parlé de ce conseil de cuisson dans une de mes toutes premières lettres mais c’est vraiment une bonne astuce qui améliore la texture et aide à bien conserver les goûts.
La recette pour une demi-tourte complète
3 heures • végétalienne • hivernale
Ingrédients :
4 gros oignons jaunes
700 g de champignons de Paris
Un navet boule d’or
2 carottes
Quelques branches de persil
Une cuillère à café de graines de coriandre (pilées)
6 clous de girofle (pilés)
2 feuilles de laurier
2 cuillères à soupe de farine
Une pâte feuilletée
Un peu de lait végétal (ou un œuf battu) pour la dorure
Un peu d’huile d’olive
Du sel
a. Émincez les oignons dans le sens de la fibre. Placez-les dans une sauteuse chauffée à feu moyen, ajoutez un verre d’eau, couvrez-les et laisser cuire pendant 20 à 30 minutes en remuant de temps en temps.
b. Ôtez le couvercle, ajoutez un filet d’huile d’olive, une pincée de sel et faites-les dorer pendant 45 minutes en les remuant régulièrement.
c. Quand les oignons sont bien dorés, retirez-les du feu et gardez la sauteuse en l’état (avec les sucs d’oignons collés au fond). Découpez les champignons en bâtonnets, puis ajoutez-les dans la sauteuse avec un verre d’eau, couvrez et laisser l’ensemble chauffer jusqu’à ébullition. Ôtez le couvercle et laissez cuire jusqu’a évaportion complète de l’eau. Quand il n’y a plus d’eau, ajoutez un filet d’huile, un peu de sel et continuez la cuisson à feu moyen jusqu’à ce que les champignons soient dorés. Remuez-les régulièrement.
d. Pendant la cuisson des champignons, épluchez les carottes et découpez-les en rondelles. Epluchez le navet et découpez-le en cubes. Placez-les dans une casserole avec les feuilles de laurier, ainsi que les graines de coriandres et les clous de girofles pilés, ajoutez une petite pincée de sel, couvrez avec 40 cl d’eau et faites cuire 6 minutes après le début de l’ébullition.
e. Quand les champignons sont grillés, ajoutez les légumes cuits (gardez bien l’eau de cuisson !) et les oignons caramélisés à la sauteuse. Versez les deux cuillères de farine et mélangez bien. Versez ensuite l’eau de cuisson des légumes dessus. Une sauce épaisse va se former. Comme nous allons poursuivre la cuisson au four de la tourte, il faut que la texture reste relativement fluide, si le bouillon des légumes n’a pas suffit à obtenir une appareil relativement facile à mélanger, ajoutez encore un peu d’eau.
f. Préchauffez votre four à 175°c. Si votre sauteuse ne peut pas aller au four, transférez la préparation dans un plat adéquat. Couvrez la tourte avec la pâte feuilletée en enfermant bien tous les bords de votre récipient. Badigeonnez la pâte d’un peu de lait végétal (ou d’œuf battu), faites au minium un trou ou une croix sur le dessus de la pâte pour que la vapeur puisse s’échapper et enfournez pour 40 minutes. C’est prêt !àç
Beau texte, belle recette, tout ce que j’aime dans ta newsletter 😊
Je ne prends jamais la peine de commenter mais cette lettre-ci m'a particulièrement touchée. Et cette recette a l'air délicieuse ! Merci pour tout.