Les oreilles d’Haman à la pomme et au pavot
Drôle de tradition que de manger les oreilles de ses ennemis, à moins que ces gâteaux représentent en réalité autre chose ?
J’ai eu une épiphanie le jour où Noémie Issan a tweeté ceci :
« Puisque je parle de subversion en religion, rappelons en ce mois d'Adar que les gâteaux appelés oreilles d'Haman ne représentent pas les oreilles d'Haman. »
C’est vrai que représenter des oreilles en pâtissant des triangles fourrés avec du pavot (ou de la confiture) ça n’a pas beaucoup de sens. Mireille Gayet dans son Petit Traité des Farcis (cf, cette lettre) évoque plusieurs hypothèses auxquelles on ne trouve pas de fondement : ça serait un gâteau à la garniture cachée qui ferait référence à la Reine Esther qui dissimulait son identité juive ; ou la représentation du tricorne (chapeau) porté par Haman ; ou encore la forme en triangle serait une référence aux trois patriarches Abraham, Isaac et Jacob. Aucune allusion à l’hypothèse silencieuse qu’émet Noémie. J’ai eu du mal à trouver de la matière qui puisse accréditer sa thèse. La vidéo qui résume le livre d’Esther que j’ai lié à la recette de la semaine dernière ne fait jamais référence à la « féminité sacrée » de l’héroïne de l’histoire. Peut-être parce que cette vidéo a été écrite par des hommes ?
Finalement, en écoutant un podcast se posant la question « Comment devenir Esther ? » écrit par Mariacha Drai (une femme), j’ai trouvé des éléments qui renvoient à la force féminine de l’héroïne de l’histoire. Elle raconte qu’au commencement du récit, Esther est une femme effacée, coupée de sa propre substance et sans parent. Pour trouver la force et le courage dont elle aura besoin pour devenir celle qui sauvera tout son peuple, elle doit renouer avec toute sa lignée de femmes : « […] je vais remonter à travers tous les ventres, à travers tous les utérus de toutes ces mamans qui ont porté des enfants […] » jusqu’à Sarah, la première des mères.
Qu’a-t-elle compris de cette exploration ? Que « d’un utérus à un utérus », les mêmes pratiques et rituels se sont transmis à travers les âges. Armée de cette nouvelle compréhension du monde (et alors assurée que D•ieu•e l’accompagne), elle déploie ses forces pour devenir celle qui sauve tout le peule d’Israël par la force des négociations (un belle ode au monde du droit). Le récit se termine par l’enoncé de ses exigences : c’est une femme qui ne veut pas qu’on efface son histoire et qui demande à ce qu’on la raconte à nouveau tous les ans le jour du 14 du mois d’Adar.
Vu comme ça, ça semble bien plus cohérent d’imaginer qu’on confectionne des gâteaux en forme de vulve pour célébrer le pouvoir ancestral des femmes, que de manger les oreilles du vilain de l’histoire.
Pour ma fournée annuelle « d’oreilles d’Haman », j’ai testé une pâte levée et j’ai troqué la farce au pavot par une compote de pomme, si vous voulez essayer une recette plus traditionnelle, allez voir celle de la Reine Deb Perelman !
La recette pour une dizaine de vulves
2 heures • végétarienne • exclusivement à Pourim (ou toute l’année)
Ingrédients
Pour la pâte :
380 g de farine (T45 à T65)
100 g de sucre
3 œufs
Une demi cuillère à café de sel
2 cuillère à soupe d’huile neutre
7 g de levure fraîche (avec une cuillère à soupe de sel et une cuillère à café de sucre)
Le quart d’une noix de muscade râpée
Une cuillère à soupe de graines de pavot
Pour la compote :
3 pommes
Un filet d’huile d’olive
a. Commencez par préparer la levure dans un récipient à part pour vous assurer qu’elle est bien active. Dans un bol, mélangez la cuillère à soupe de farine, la cuillère à café de sucre et et la levure fraiche émiettée. Ajoutez un filet d’eau tiède et mélangez le tout. Au bout de 10 à 15 minutes, l’ensemble doit avoir gonflé ; si ce n’est pas le cas, recommencez avec une autre levure.
b. Dans un grand récipient ou dans le bol d’un robot pâtissier mélangez les ingrédients secs, puis ajoutez les œufs, l’huile et la levure activée. Pétrissez à la main ou au crochet quelques minutes, la pâte doit former une boule mais être relativement sèche, ajoutez de la farine si ce n’est pas le cas. Bouler la pâte, couvrez le bol d’un torchon et laissez reposer 1h30 à température ambiante.
c. Pendant que la pâte repose, préparez la compote. Découpez les pommes en petits cubes et faites-les revenir une dizaine de minutes dans un filet d’huile d’olive. En fonction des pommes sélectionnées, elles tomberont rapidement en compote ou garderont leur forme et coloreront. Si vous êtes dans le second cas, ajoutez un peu d’eau quand elles atteignent une couleur ambrée pour continuer à les cuire sans les brûler ! Coupez le feu, et écrasez quelques morceaux avec une fourchette si les pommes ne sont pas tombées en purée d’elles-même.
d. Dégagez la pâte, et incorporez le pavot en la pétrissant une minute. Laissez la se détendre pendant 5 à 10 minutes. Préchauffez le four à 170°c.
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e. Abaissez la pâte (jusqu’à 2/3 mm d’épaisseur) sur un papier sulfurisé en veillant à la fariner régulièrement pout qu’elle ne colle pas. Détaillez des cercles de 10 cm dans la pâtes, applatissez-les un peu avec les mains si la pâte s’est retractée et garnissez-les d’une cuillère à café de compote. Fermez le disque de pâte en triangle en laissant une petit ouverture au milieu.
f. Placez les oreilles formées sur une plaque chemisée d’un papier sulfurisé et enfournez pour 20 minutes, c’est prêt !
Je ne verrais plus jamais les oreilles d'Haman de la même façon! :D