La chakchouka
Mes excuses pour le retard d’envoi de cette lettre, c’est que les poivrons ont mis du temps à cuire, mais ça valait le coup.
Y’a-t-il dans vos familles des scènes qui se rejouent à chaque repas de fête ? Dans la mienne il y a tout un genre de cérémonie au moment du dressage des entrées. On commence par rappeler qu’on a bien fait attention de préparer les carottes râpées bien citronnées pour untel, qu’on a cuisiné des œufs aux anchois pour un autre mais on lui notifie qu’il doit bien penser à les partager avec les autres, je dépose un bol de foie haché sur la table et j’attends les cris de joie de mes oncles et tantes. On se plaint que les entrées ne tournent plus autour de la table et que les poivrons grillés sont restés bloqués, comme par hasard, devant ma sœur ou ma cousine. Puis surtout, on demande à ma tante Patricia si elle a fait de la chakchouka, évidemment elle répond que oui, s’en suit un soupir de soulagement émis par l’ensemble de la tablée.
Au moment de la dégustation de nos assiettes débordantes d’une multitude de préparations colorées et savoureuses, l’un•e d’entre nous élève sa voix pour dire à ma tante que sa chakchouka est toujours aussi bonne et lui pose pour la centième fois la même question « mais tu mets du sucre dedans pour que ça soit aussi doux ? ».
« Non, non, jamais de sucre. Mais par contre je les cuis longtemps, longtemps, longtemps. Il faut au moins 2 heures ». On ose à peine y croire tellement les poivrons se teintent d’une mielleuse douceur en confisant.
En lisant cette histoire, vous vous figurez peut-être un plat servi dans une casserole en fonte agrémenté d’œufs au plat et d’herbes fraiches : je suis au regret de vous informer que vous faites fausse route. Dans ma famille, à Constantine comme à Alger, la chakchouka désigne (aussi) une salade de poivrons, d’ail et de tomates longuement confits. Dans d’autres zones du Maghreb on nommera cette préparation makbouba, shlada, salade de piments, salade cuite. Certain•es vous diront que de ce côté de la mer, on nomme ça piperade (dans les pays gascon et basque), mais prenez garde ce plat-ci contient des oignons, ingrédient à proscrire de votre recette si vous souhaitez éviter un incident diplomatique en vous invitant à un shabbat chez mes proches.
Quelques notes avant la recette
Si vous aimez la saveur du poivron et celle de l’ail mais que vous n’avez pas le temps de surveiller longuement la cuisson d’une chakchouka, lancez-vous plutôt dans la préparation d’un bocal de poivrons grillés et marinés.
Si ce que vous vouliez, c’était voir une recette du plat avec des oeufs et des oignons, je vous conseille cette recette de J. Kenji López-Alt.
Assurez-vous de prendre des poivrons rouges, les plus lourds et les plus foncés possible pour vous assurer que le résultat final soit bien doux et sucré !
La préparation réduit beaucoup à la cuisson, n’hésitez pas à augmenter considérablement les doses de la recette si vous êtes plus de quatre autour de la table.
La recette pour un bol de chakchouka, hélas toujours trop petit
3 heures • végétalienne • estivale
Ingrédients :
4 poivrons rouges
2 gousses d’ail
400g de pulpe de tomate (en conserve)
De l’huile d’olive
Du sel
a. Préchauffez votre four à 180°c, grill du haut enclenché. Incisez les poivrons dans la longueur pour pourvoir les ouvrir en deux avec les mains et ainsi en détacher facilement la partie pleine de graines. Une fois les poivrons ouverts, ôtez les graines restantes et les parties blanches.
b. Disposez les poivrons (peau vers le haut) sur une plaque chemisée de papier sulfurisé et enfournez pour 20 à 30 minutes, jusqu’à ce que leur peau cloque et se colore.
c. Sortez les poivrons du four et placez-les immédiatement dans un contenant que vous pouvez fermer hermétiquement. Laissez-les refroidir dedans.
d. Tirez délicatement sur les peaux des poivrons pour les enlever, elles devraient partir toutes seules grâce au duo d’opérations que vous venez de faire. Découpez les poivrons en lanières, puis en morceaux de 2 à 3 centimètres.
e. Hachez finement les gousses d’ail et faites-les revenir 1 à 2 minutes dans une sauteuse chauffée avec de l’huile d’olive pour qu’elles se colorent légèrement.
f. Ajoutez les poivrons coupés en dès et faites-les suer 10 minutes avant d’ajouter la boite de pulpe de tomate et une pincée de gros sel. Laissez cuire au moins 1h30 en remuant très régulièrement. Si la chakchouka semble accrocher, ajoutez de l’huile d’olive. Il est possible que vous deviez en rajouter 2 ou 3 fois pendant la cuisson.
g. Quand tout est bien compoté, réservez au frais et attentez quelques heures avant de la déguster avec du pain frais ou de la hallah !
merci...
je n'aurai plus le loisir de manger la salade cuite de ma grand-mère (constantine également) qui ne cuisine plus aujourd'hui. Mais que de souvenirs de bataille avec mes cousines pendant les fêtes, avec ma mère quand elle avait fini le bocal huileux avec le sopalin coincé dans le couvercle... un véritable nectar.
Chez nous, on mélange le poivron vert et le rouge. Et dans la famille de mon père (oran), on appelle ça la frita et c'est que rouge. Ma grand mère paternelle qui cuisine encore et à qui j'ai toujours dit que la sienne n'arrivait pas aux chevilles de l'autre (sympa ahah) me rajoute maintenant et spécialement pour moi des poivrons verts. ET ça change tout !! Evidemment, bien qu'excellente, elle n'arrive quand même pas au niveau de l'autre, certainement cuisinée avec des techniques défiant toutes les règles de sécurité de la vie quotidienne, dans les petits appartements biscornus du 10e arrondissement.
Merci Lola pour cette recette.
La salade cuite c'était celle de ma grand-mère et de ma petite sœur et depuis qu'elles sont décédées, je n'osais pas la demander à mon père.
et maintenant je vais pouvoir la faire découvrir à mon fils et je lui apprendrai à la faire et quelque part le lien sera renoué