Les cigarettes turques et le tarama à la crème
Toujours entrain de vous demander quel apéritif original vous pouvez bien servir cette année pour les fêtes ? J’ai une idée pour vous.
Vous avez déjà gouté du caviar, vous ? Moi ça m’est arrivé trois fois. La première fois c’était à un repas de Noël, on était trois : mon oncle, ma grand-mère et moi. Tous les autres membres de la famille avaient quitté la ville pour diverses raisons et il ne restait plus que nous à Paris fin décembre, j’avais 15 ou 16 ans. Je devais déjà avoir le droit de me garder seule à la maison, mais j’ai souvenir que ma grand-mère (trouvant le tableau un peu triste) tenait à m’inviter chez elle le 24. Cette grand-mère-ci n’était pas une grande cuisinière contrairement à l’autre dont j’ai déjà parlé ici plusieurs fois, et quand elle vous invitait à manger, il y avait une chance sur deux qu’elle vous serve une viande aux allures de semelle qu’elle découpait soigneusement avec un couteau électrique Moulinex. Mais cette fois, bingo, elle m’annonce qu’elle ne sait pas trop comment, faut pas poser trop de questions mais mon oncle connait quelqu’un qui peut nous faire parvenir du caviar. Je n’ai pas posé de questions, pas demandé si la TVA avait été collectée sur ce produit ou si mon oncle avait fait chanter un oligarque, mais je me souviens que la boite était grosse et qu’il y avait du cyrillique sur l’étiquette. Côté goût, je me souviens surtout que c’était fort, salé et qu’il fallait ajouter pas mal de crème fraiche sur le blinis pour les accommoder. L’expérience était intéressante et le mystère qui entourait cette boite amusant, mais honnêtement, ça n’avait pas plus de valeur ajoutée que le bon tarama servi avec de la pita chaude du restaurant arménien « Les Diamantaires » où ma grand-mère et mon oncle avaient leurs habitudes le dimanche midi.
La deuxième fois, c’était une petite cuillère de caviar d’aquitaine et j’en garde un bien meilleur souvenir gustatif : c’était iodé mais rond, il y avait des notes de noisettes et le goût persistait bien en bouche. Cette fois-ci, je n’ai pas de souvenirs de l’ambiance de la soirée mais j’ai compris que c’était un produit d’exception qui pouvait vraiment avoir des saveurs rares et variées.
La dernière fois, c’était il y a tout pile 6 ans. Je venais de me faire larguer et après quelques jours à dormir chez un couple d’amis qui peinait à me nourrir (même à coup de coquillettes et de nuggets), j’ai fini par rentrer chez mes parents pour leur annoncer la nouvelle. C’était surement la première et unique fois qu’ils me voyaient dans cet état. J’ai passé plusieurs jours à aller me rouler en boule sur un lit aussitôt passé le pas de la porte et à manger péniblement deux ou trois petits trucs du bout des lèvres. Un soir mon père est rentré, j’étais sous la couette, lumière éteintes :
« Lola, viens manger.
– Mais j’ai pas faii-ii-im, répondais-je en sanglots
– Promis, pour ça t’auras de l’appétit »
Sur la table, mon père a sorti un litre de vodka et une petite boite de caviar en me disant « on a pas tous les jours une occasion d’acheter des choses pareilles. »
Je ne me souviens plus des saveurs mais je me souviens avoir mangé avec plaisir et envie, c’était la première fois que ça m’arrivait depuis des jours. Les œufs devaient être succulents, mais pour moi ils avaient surtout le goût d’un père qui essayait de dire « quel naze ce type » et de signifier sa présence. Comme dit Arié Alimi « Les juifs constantinois, bourrus, taciturnes, ça ne parle pas.», c’est vrai, c’est parfois plus simple pour eux d’emprunter des stratégies plus coûteuses et de proposer un verre d’alcool de patate.
Comme j’espère que votre vie sentimentale ne vous fait pas souffrir (si c’est le cas : Viens, goûte mes frites) et que les œufs de cabillaud fumés sont bien plus abordables que le caviar, je vous propose aujourd’hui de faire un tarama qui n’en est pas tout à fait un. Un tarama classique se prépare avec de la mie de pain et se monte à l’huile comme une mayonnaise. Dans la version ci-dessous il n’y a que deux ingrédients : des oeufs fumés et de la crème fleurette. Un simple mariage qui permet de conserver toute la saveur iodée des oeufs en les dessalant et en leur apportant une texture très agréable en bouche. Si vous n’aimez pas le tarama en temps normal mais que vous chérissez les produits de la mer, il est fort possible que cette version vous plaise. Les poches d’oeufs de cabillaud fumés peuvent se trouver chez le poissonnier, en ligne et parfois en grande surface en période de fêtes.
Pour l’accompagner je vous propose des « cigarettes turques », c’est un peu comme des cigarettes russes mais en pâte filo. On trouve ce type de pâte en épicerie orientale mais si vous n’en voyez pas, vous pouvez faire une version en feuilles de bricks, comme dans cette recette.
La recette pour un généreux apéritif
1 heure • omnivore • hivernale
Ingrédients
Une poche d’oeufs de cabillaud fumés (environ 250 g)
40 cl de crème fleurette
Un paquet de feuilles de pâte filo
De l’huile d’olive
Du zaatar, du sésame, du pavot…
a. Préchauffez votre four à 180°c. Pour préparer les cigarettes turques, prenez une première feuille de pâte filo, dépliez-la sur votre plan de travail et badigeonnez-la entièrement d’huile d’olive au pinceau avant de poser une seconde feuille dessus et de répéter l’opération.
b. Roulez le duo de feuilles ensemble depuis le côté le plus étroit et découpez le rouleau en trois ou quatre morceaux pour obtenir des cigarettes d’un peu moins de 10 centimètres. Placez les rouleaux sur une plaque de four couverte de papier sulfurisé. Répétez l’opération jusqu’à remplie la plaque de cuisson.
Note : si vous n’utilisez pas toutes les feuilles de pâte filo, refermez bien le parquet, conservez les feuilles restantes dans un sac hermétique et utilisez-les dans la semaine pour éviter qu’elles ne sèchent.
c. Saupoudrez les rouleaux des condiments qui vous plaisent. Pour accompagner le tarama, du zaatar ou du sésame au yuzu iront très bien par exemple. Enfournez pour 20 à 30 minutes, sortez-les du four quand ils sont bien dorés.
d. Ouvrez la poche des œufs l’incisant avec un couteau et décollez la membrane pour libérer les œufs. L’opération se fait facilement en grattant la membrane avec une cuillère pour bien décoller tous les œufs.
e. Placez la crème fleurette dans un bol bien froid et commencez à monter la crème en la fouettant. Ajoutez au fur et à mesure les œufs et continuez de fouetter jusqu’à ce que la crème ait épaissie et que le la texture soit bien homogène, c’est prêt !
Note : le secret pour monter une crème fleurette en chantilly ou autre, c’est d’avoir des ingrédients et un bol bien froids. Vous pouvez placer votre bol au réfrigérateur pendant une heure avant de cuisiner, ou le faire refroidir en plaçant dedans des glaçons et de l’eau fraiche pendant quelques minutes.
Ici j’ai réalisé la recette avec seulement une demi-poche d’œufs de cabillaud, c’est déjà assez pour un apéritif conséquent. Si vous n’invitez pas une grande tablée et qu’il n’est pas mentionné sur le paquet qu’elle n’a pas été congelée, vous pouvez acheter une poche entière et en conserver une partie au congélateur pendant 3 à 6 mois !
Je n’ai jamais aimé le tarama alors que j’adore les produits de la mer. Je crois que tu as là la clé pour me faire succomber, le test ultime ! (Beaucoup aimé lire l’anecdote avec ton père 🥹)
Je passe juste dans le coin pour dire que c’était trop bien écrit, que je suis contente d’avoir découvert un resto et que j’ai très envie de tarama maintenant (c’est malin)