Les malawach au sésame
Une recette riche (mais simple) pour une histoire dense (mais universelle).
L’autre jour, j’ai été hypnotisée par une photo d’Ofra Haza1 postée sur le compte Instagram de Jewish Women Archive. J’étais aussi captivée par son maquillage et sa coiffure tellement eighties que par sa tenue yéménite. Si Ofra avait été dans la même pièce que moi, j’aurais regardé les détails de ses bijoux et les médailles qui ornaient son poitrail d’une façon gênante, qui frôlerait l’inquiétude et justifierait presque qu’elle m’en colle une.
Une fois les yeux levés de mon écran, j’ai eu faim. Et des images de pain yémenites me sont venues en tête. Régulièrement j’ai envie de jachnun, un pain feuilleté et roulé, cuit toute la nuit en cocotte, à déguster les matins de shabbat. Cette lente cuisson et la présence d’un peu de sucre dans la pâte caramélise le tout et donne au jachnun un goût unique. En manger en France est une mission impossible, j’ai du m’en délecter moins de 10 fois dans ma vie. Jusqu’en 2022 j’avais exclusivement gouté celui d’Haouva, une amie d’une incroyable gentillesse qui en préparait à chaque fois qu’on allait la visiter dans son kibboutz avec mes parents. Il y a 2 ans, lors d’un passage hivernal à Tel-Aviv j’ai pu en gouté accompagné d’une brioche feuilletée yémenite, le kubaneh (autre pain du shabbat qu’on retrouve aussi en Libye). Un moment beurré et délicieux. J’ai aussi pensé au lachuch que j’avais mangé la veille, un pain cousin des crêpes mille trous.
À ma collection des pains juifs yéménites, je me suis rendue compte qu’il manquait le malawach. Un pain feuilleté cuit à la poêle qui pourrait rappeler les msemmens du Magreb (mais sans semoule) ou les cong you bing de Chine (mais sans ciboule). J’ai commencé à me dire que la variété des pains au Yémen n’avait rien à envier une boulangerie parisienne. Puis en passant d’une page Wikipedia à une autre, je me suis rendue compte que l’histoire des juifs du Yémen n’avait rien à envier à l’histoire du peuple Juif tout entier.
Les rois d’Himyar convertis au judaïsme au IVe siècle, la conquête chrétienne qui oblige certains à devenir des cryptos-juifs, l’existence de plusieurs communautés (Baladi, Shami, Maïmonidéens) n’ayant pas les mêmes rites et observances, les exils forcés dans le désert, la constitution d’un quartier juif autour duquel on érige des murs, la rencontre avec les autres communautés juives au XIXe, l’exfiltration de pratiquement toute la communauté depuis 1948 au travers de l’opération « tapis volant », l’histoire terrible des enfants disparus quand les yéménites sont arrivés en Israël.
C’est troublant à quel point cette longue histoire fait écho à celles d’autres diasporas, voir semble rejouer des récits bibliques. Les rois d’Himyar ont un jour été forts et ont persécuté les chrétiens en minorité, puis le rapport de force s’est inversé et l’histoire est restée sanglante. Les uns ont eu peur des autres, les autres nous ont pris pour des hérétiques. Parce qu’ils n’avaient ni pouvoir social, ni monétaire ils ont été malmenés par ceux qui étaient plus établis. Dans la noirceur de l’histoire des ponts se sont tout de même crées pour garder quelques familles en vie, la communauté juive du Yemen a pu survivre au XVIIe siècle en partie grâce à quelques désobéissants qui refusèrent qu’on les destine à une mort certaine dans le désert.
L’histoire de ce morceau de la péninsule d’Arabie semble porter un récit universel du monde. On pourrait la coucher sur de long lés de papier et la raconter sans cesse pour en tirer des enseignements sur les désirs de pouvoir de tout être vivant et pour se demander comment nous pouvons apprendre à vivre ensemble, sans diminuer les autres.
Quelques notes avant la recette
Les malawach se préparent traditionnellement avec des graines de nigelle, ici je vous en propose une version avec du sésame, mais n’hésitez pas à faire varier les plaisirs et tenter de les garnir avec des herbes ou d’autres épices. Evitez les farces épaisses ou molles qui risqueraient de percer les fines couches de pâte.
Les galettes se congèlent très bien quand elles ont été étalées et peuvent être cuites à la poêle dès leur sortie du congélateur !
La pâte, et la technique pour les étaler finement sont identiques à celles que l’on retrouve dans la recette du jachnun, si vous avez envie de vous y mettre et de faire tourner votre four toute la nuit, allez-y !
La recette pour six pains
45 minutes (et au moins 4 heures de repos) • végétarienne • toute l’année
Ingrédients :
350 g de farine
40 g de sucre
80 g de beurre (ou de margarine pour végétaliser la recette)
Une cuillère à café de sel
20 cl d’eau
30 g de graines de sésame
a. Versez dans un bol la farine, le sucre et le sel. Ajoutez l’eau en deux fois et pétrissez jusqu’à obtenir une pâte relativement lisse et peu collante, cela peut peut prendre plusieurs minutes. Utilisez un robot pâtissier muni d’un crochet si vous en avez un. Vous pouvez finir le pétrissage sur votre plan de travail pour avoir plus de force, et ce même si vous avez utilisé un robot ! Formez une boule, replacez la dans le bol, couvrez avec un linge et laissez reposer 30 minutes. Sortez le beurre du frigo pour qu’il soit bien mou lors de la prochaine étape.
b. Divisez la pâte en 6 pâtons d’environ 100 g chacune. Formez-les en boules et laissez-les se détendre 10 minutes avant de passer à la prochaine étape.
c. Beurrez votre plan de travail ou toute autre surface sur laquelle vous pouvez travailler et mettre du gras. Étalez une boule de pâte au rouleau, en la retournant régulièrement le pâton pour qu’il soit bien beurré des deux côtés. Le gras va vous aider à étaler la pâte très finement. Essayez d’obtenir le rectangle le plus grand et fin possible !
d. Avec les doigts, passez une noix de beurre partout sur la pâte étalée et parsemez de graines de sésame. Roulez la pâte sur toute la longueur. Quand vous avez obtenu un long boudin, tirez délicatement dessus pour l’allonger encore un peu plus, et roulez-le comme un escargot. Placez le pain ainsi formé sur une assiette huilée ou beurrée. Répétez l’opération avec toutes les boules de pâte. Filmez l’assiette qui contient tous les pains (ou protégez-la avec un couvercle) et placez le tout au frais au moins 4 heures pour que le beurre se raffermisse.
e. Aplatissez les pains au rouleau sur une surface beurrée ou huilée. À cette étape vous pouvez placez les malawach ainsi formées sur des feuilles de papier sulfurisé pour les congeler si vous ne comptez pas tous les cuire. Au moment d’étaler le premier pain, faites chauffez une poêle à feu moyen avec un peu de beurre.
f. Faites cuire les malawach dans une poêle chaude beurrée, quand le premier côté est bien doré (au bout de 3 à 5 minutes), retournez-le et poursuivez la cuisson jusqu’à ce que le deuxième côté soit tout aussi coloré.
C’est prêt ! Les malawach se dégustent chauds, tels quels, ou avec un peu d’harissa et de pulpe de tomates. Vous pouvez aussi les accompagner d’un peu de miel. J’espère que vous apprécierez leur goût qui rappelle celui du croissant et toutes ces couches fines et bien croustillantes !
Ofra Haza est une chanteuse israélienne originaire du Yémen. Madonna du Moyen-Orient, elle est connue pour avoir fini deuxième à l’Eurovision 1983, fait des duos avec les Sisters of Mercy ou Iggy Pop, participé au Peace Choir en 1991. Mais surtout, elle a chanté la B.O. du Prince d’Egypte en 18 langues.
Oh la la je dois absolument tester ça! Ça me rappelle un pain mystérieux dont je n'arrive ni à trouver le nom ni l'origine exacte que ma grand-mère ramenait de Syrie. Un plat roulé et légèrement feuilleté un peu comme le malawach, mais avec un mélange d'épices anisés/ des graines de sésame. Ça me fait penser que je croyais avoir retrouvé sa trace lors d'une de mes lectures... mais que j'ai oublié de prendre une note! (Classique Christelle 😅)
🤤🤤🤤passion pain quels qu’ils soient ! Merci pour les nouvelles envies éveillées et l’instant culture (j’ignorais tout des juifs yéménites !)